La formation de la valeur

Michel Foucault. Les mots et les choses, Editions Gallimard 1966. [Chapitre 6. Échanger]

La théorie de la monnaie et du commerce répond à la question : comment, dans le mouvement des échanges, les prix peuvent-ils caractériser les choses, -- comment la monnaie peut-elle établir entre les richesses un système de signes et de désignation? La théorie de la valeur répond à une question qui croise celle-ci [...]: pourquoi y-a-t-il des choses que les hommes cherchent à échanger, pourquoi les unes valent-elles plus que les autres, pourquoi certaines, qui sont inutiles, ont-elles une valeur élevée, alors que d'autres indispensables, sont de valeur nulle? Il ne s'agit donc plus de savoir selon quel mécanisme les richesses peuvent se représenter entre elles (et par cette richesse universellement représentative qu'est le métal précieux), mais pourquoi les objets du désir et du besoin ont à être représentés, comment on pose la valeur d'une chose et pourquoi on peut affirmer qu'elle vaut tant ou tant?
Valoir pour la pensée classique, c'est d'abord valoir quelque chose, être substituable à cette chose dans un processus d'échange. La monnaie n'a été inventée, les prix ne sont fixés et ne se modifient que dans la mesure où cet échange existe. Or l'échange n'est un phénomène simple qu'en apparence. En effet, on échange dans le troc que si chacun des deux partenaires reconnaît [a priori] une valeur à ce que détient l'autre. En un sens, il faut donc que ces choses échangeables, avec leur valeur propre, existent à l'avance entre les mains de chacun pour que la double cession et la double acquisition se produisent enfin. Mais d'un autre côté, ce que chacun mange et boit, ce dont il a besoin pour vivre, n'a pas de valeur tant qu'il ne le cède pas; et ce dont il n'a pas besoin est également dépourvu de valeur tant qu'il ne s'en sert pas pour acquérir quelque chose dont il aurait besoin. Autrement dit, pour qu'une chose puisse en représenter une autre dans un échange, il faut qu'elles existent déjà chargées de valeur; et pourtant la valeur d'existe qu'à l'intérieur de la représentation (actuelle ou possible), c'est-à-dire à l'intérieur de l'échange ou de l'échangeabilité. De là les deux possibilités simultanées [duales] de lecture : l'une analyse la valeur dans l'acte même de l'échange, au point de croisement du donné et du reçu; l'autre l'analyse comme antérieure à l'échange et comme condition première pour qu'il puisse avoir lieu.

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