Mathématiques, Economie et Phénoménologie


Enrichir la théorie phénoménologique


Le terme phénoménologie appliqué à la science est utilisé pour décrire un corps de connaissance reliant de nombreuses observations empiriques entre elles, de façon cohérente avec la théorie fondamentale, mais n'en étant pas issu.

Une théorie phénoménologique exprime mathématiquement le résultat de l'observation d'un phénomène sans s'attarder à sa signification fondamentale. Le mot dérive de « phénomène » ( du grec φαινόμενoν, pl. φαινόμενα -
 
phenomena, traduit par "chose manifeste, évidente, qui apparaît", et -λογία - -logia, traduit par « étude de » ou « recherche »), et s'applique à tout événement observable.
Ainsi, des expressions algébriques peuvent être utilisées afin de modéliser des observations ou des résultats expérimentaux de différentes échelles de longueurs, masses, ou temps, et pour effectuer des prédictions sur les résultats d'autres observations ou expériences, bien que ces expressions ne soient pas issues d'approximations d'une théorie proposée pour ce domaine de connaissance.

Cette approche phénoménologique repose notamment sur un réflexe, une obsession permanente : dans les mesures que nous réalisons, existe-t-il des invariants porteur de sens ?


Observations et modélisation en mécanique céleste


Aussi bien Ivar Ekeland dans son ouvrage « Le calcul, l’imprévu » (1984) que John Von Neumann et Oskar Morgenstern dans « Théorie des jeux et comportement économique »  (1946) soulignent l’importance dans la démarche scientifique d’associer un soucis de trouver les « structures vraies » (les justes représentations) à une observation la plus précise des phénomènes qui nous entourent.
Tout deux rendent hommage au travail d’observation de l’astronome Tycho Brahé (1546-1601) ; Ivar Ekeland par les mots de Kepler : « Pour nous, à qui la grâce divine a donné en Tycho Brahé un observateur d’une telle valeur que ses observations nous révèlent l’erreur de 8 minutes commise par Ptolémée, il nous convient d’accepter avec reconnaissance ce bienfait de Dieu et d’en tirer profit. Ce qui veut dire que nous devons nous donner la peine de découvrir enfin la « structure vraie des mouvements célestes ».

C’est Newton qui, selon la tradition, à l’âge de 24 ans en 1666 ramène le Saint-Graal et la loi de gravitation universelle qui montre de quelle manière les planètes sont mues par le Soleil. Dire que « la matière attire la matière en raison directe des masses et en raison inverse du carré des distances » n’épuise pas pour autant toutes les questions : « qu’est-ce que la matière ? Pourquoi cette force d’attraction ? Comment peut-elle s’exercer entre des corps séparés par le vide ? » demande Ivar Ekeland pour ainsi nous amener à réaliser que la physique newtonienne, quand bien même elle ne nous révèle pas la nature profonde des choses, constitue une phénoménologie utile et remarquablement précise. Il souligne aussi comment les mathématiques et mathématiciens tels que Euler, Lagrange, Laplace, Poincaré ou Siegel ont mis leur art au service de cette phénoménologie avec succès.

Du comportement des agents économiques


De manière analogue Von Neumann et Morgenstern se sont intéressés à la structure vraie des mouvements/agissements des agents économiques. Ils vont à l’encontre d’idées reçues selon lesquelles, parce qu’elle fait aussi appel à la subjectivité des hommes, l’économie serait moins accessible à la modélisation. Ils soulignent notamment que des notions quantitatives précises de prix, de monnaie et de taux d’intérêt existaient bien avant qu’une théorie mathématique précise permette de poser un cadre rigoureux pour définir et quantifier les notions de température et d’énergie.

Von Neumann et Morgenstern commencent par rappeler, en hommage à Tycho Brahé, la nécessité de décrire les faits économiques. Le cadre qu’il pose pour arriver à une phénoménologie économique est une représentation de l’agent économique comme un être mû par l’objectif de trouver les actions lui permettant de maximiser une certaine fonction d’utilité qui lui est propre. En variant le nombre d’agents ou joueurs (en prenant l’angle de la théorie des jeux) et les propriétés géométriques des fonctions d’utilités et de l’ensemble des actions possibles, ils obtiennent alors des résultats très généraux sur l’existence d’équilibres possibles.

Convexité et analyse de sensibilité


Lorsque le problème de décision associé est convexe (fonction d’utilité concave, ensemble des actions convexes) l’ensemble des équilibres possibles est non-vide.
Dans le cas où la fonction d’utilité est fortement concave ou le domaine de contrainte saturé à courbure strictement positive, les conditions d’optimalité de Kuhn et Tucker donnent lieu à un système d’équations primales-duales pour lesquelles il est possible d’appliquer le théorème des fonctions implicites et d’obtenir ainsi des résultats de régularité (continuité, stabilité locale, différentiabilité) des équilibres par rapport à des perturbations de l’environnement du jeu économique.


Dans ces conditions la phénoménologie obtenue devient efficace pour aborder la réalité économique en ce sens que son domaine de pertinence ne se limite à des conditions particulières hautement improbables.

Comments

Popular Posts